E comme Encyclopédie

 

Ce qui tourne – Les trois parties du rêve

L’encyclopédie – le savoir en tant qu’il revient en cercle, au sens étymologique – se veut conte oriental pour accompagner le lecteur à la manière d’une Schéhérazade jouant Ariane au sein du dédale des songes.

Toute véritable initiation est duelle, « mixte » : elle suppose que l’on co-ite que l’on parcoure un chemin sinueux à deux, un itinéraire onirisé et érotisé.

Telle est l’aventure exploratoire à laquelle incite l’Encyclopédie des rêves.
Guidés par Anaïs, Roxane et Soana, qui entrelacent les fils d’une histoire nocturne et d’une intrigue diurne, au détour de tel ou tel couloir de ce labyrinthe apparaissent Isis, Julien Gracq, Monsieur N, le Minotaure.

L’encyclopédie sur les rêves n’est rien d’autre que l’exploration du labyrinthe dans lequel on se perd ou l’on se retrouve face à soi, guidé par le chuchotis des petites voix intérieures.

Des initiateurs et des sages nous confieront peut-être leurs clefs ou leur fil d’or.

Pénétrer l’univers onirique, c’est cheminer dans le palais des miroirs dont on retrouve une évocation très pâlotte dans nos foires actuelles, flirter avec la tubéreuse et s’enivrer du troublant jasmin.

Il n’empêche que se faufiler dans le rêve, c’est prendre le risque d’une confrontation rocambolesque où l’on perd son latin et son sens de l’orientation. Et dans ce gouffre des profondeurs s’affronter au Minotaure n’est pas la moindre des aventures.

Se laissera t-il apprivoiser par une femme ?
Qui en cache une autre et puis encore une autre ?

Les histoires plurielles, in fine, prennent forme, figurent et cartographient le désir pour arriver en son cœur, comme tesselles conjecturalement assemblées d’une mosaïque perdue.

Isis à la recherche d’Osiris, chaque être dans la quête de son propre soleil. Le démon du rêve me tenaille semble-t-il depuis toujours. Être psychanalyste c’est avoir retrouvé mes penchants d’enfant, l’incandescence des flammes jaillies d’un autel improvisé, la nature parée d’indigo, la clarté surgie de l’obscur, la joie de dénouer des écheveaux où je ne me sentais jamais perdue.

Prenez-vous le risque de m’accompagner dans ce périple ?

 

La consultation

Dès le lendemain, l’officier prend contact avec Anaïs et lui conte sa confrontation avec la psychanalyste.
Pour ma première entrevue, j’avais transmis à la personne au téléphone – peut-être une secrétaire – le souhait d’une « psychanalyse différente ».
Arrive le jour J. Je prends place face à la psychanalyste dans un fauteuil de l’autre côté d’un bureau design de tonalité vert pâle. Mon regard a du mal à se poser, attiré par un sofa javanais, les stores orangés japonisants et coulissants, une sculpture, des objets un peu étranges, au mana évocateur, les grandes baies ouvertes sur la ville à perte de vue.
« J’ai vu une Jaguar devant la porte de l’immeuble, est-ce-la vôtre ?
– Non, pourquoi donc ? Seriez-vous affilié aux renseignements généraux ?
– Eh bien, parce que je ne me vois pas aller chez un psychanalyste qui aurait une Jaguar.
– Et pourquoi pas ? Cela regarde votre thérapeute qui a pu faire une excellente affaire ou dont la passion est tout simplement la Jaguar. Avant d’exercer ce métier à titre libéral, j’ai travaillé sept ans bénévolement dans une association caritative et mes droits d’auteur sont reversés à un espace culturel qui en dispose pour de pauvres gens. Si l’argent avait été ma motivation, il eût mieux valu que je choisisse un autre métier où je ne serais pas exposée à ce type d’inquisition verbale.
– Je suis décontenancé ! D’abord, votre bureau, et puis ensuite… vous !
– Eh bien, n’était-ce pas votre souhait : une forme autre de psychanalyse ?
– J’ai effectué tant d’années de psychanalyse…
– Oh, vous ne battez sûrement pas le record d’un de mes consultants qui en comptabilisait vingt-sept avant de venir me rencontrer.
– Effectivement, dis-je dubitatif. Il a arrêté depuis ?
– Oui, nous avons arrêté depuis peu.
– Ah, eh bien, c’est justement ce que je souhaiterais. Quel délai lui a-t-il fallu ?
– Deux ans, pour son bonheur et son malheur.
– Pourquoi dites-vous cela ?
– Pour son bonheur parce qu’il va plutôt bien et a écrit un témoignage de son long parcours, mais aussi pour son malheur, car s’il lui prenait le mauvais goût de le crier sur les toits, il n’aurait plus sa pension d’invalidité et les psychiatres mal intentionnés pleureraient un abonné permanent justifiant leurs émoluments ! Il n’a donc pas le droit d’aller mieux qu’il ne va à l’heure actuelle, du moins il ne se le concède pas, par peur de la vie active et de la pénurie d’emploi.
– Ah, c’est curieux, il y a beaucoup d’analogies, moi aussi je suis ingénieur au chômage, justement je voudrais que vous m’aidiez à opérer mes ruptures, et mon rêve serait d’écrire ! »La consultation a alors dérivé sur mon  travail, du moins celui que j’avais inventé pour la circonstance.

« Ah, ce n’est pas du tout ce que j’avais prévu de dire. En fait, rien ne se passe comme je l’avais anticipé. J’avais conjecturé un entretien en deux paliers, où le deuxième je l’aurais passé sur le divan.
– Est-ce moi qui décide ici ou vous ? Le divan n’est là que pour la décoration, excepté en cas de force majeure.
– Quoi, je ne peux pas m’allonger sur le divan ?
– En dépit du fait qu’il soit très esthétique – mais pas forcément très confortable – ce n’est pas dans ma conception. Je ne vois pas comment, pour aider les gens à se lever, je commencerais par les allonger. Mais selon l’inspiration et la situation ce peut être une obligation. Or votre cas ne me paraît pas relever du divan. À l’époque de Freud il était indispensable en vertu de l’usage de l’hypnose. Cependant ma règle est de m’accorder à la singularité de l’être.
– Mais, tous les psychanalystes pensent différemment. Remarquez, c’est la première fois qu’une psychanalyste me fait rire. Ce sont des gens qui ne savent pas sourire.
– Je vous laisse l’entière responsabilité de vos propos.
– Il n’y a aucun échange, bien qu’ils m’aient fortement amené aux relations échangistes.
– C’est original. Une démarche communicative comme vous le constatez évite des sentiers aussi tortueux dont une certaine littérature se sustente, mais dont les adeptes se trouvent fortement déstabilisés, voire réduits à l’impuissance selon leurs témoignages. Vous me direz ce que vous en pensez vous-même : “Les conseilleurs ne sont pas les payeurs”. Mais, l’humanité est riche de sa diversité.
– Mais alors, comment cela se passe, en face à face, comme cela ?
– Eh bien oui, en face à face. Vous ne voudriez tout de même pas que je vous tourne le dos ou l’inverse. Ne serait-ce pas un peu compliqué ?  Nous serions à l’époque antique, cet exercice me séduirait. Pythagore le pratiquait à sa façon. Un rideau opaque le séparait de ses disciples. Seule la voix les reliait. La voix nue. Ce principe me comblerait, si le rituel aujourd’hui ne risquait d’être entaché de moult suspicions, loin du caractère sacralisé de l’initiation qu’il avait à l’époque. Désormais, le processus est inversé – du moins pour certains ! Pythagore pouvait notifier le silence à ses fidèles durant des périodes d’une à plusieurs années. La chose serait difficile à l’heure actuelle à moins que vous ne vous portiez candidat. […] »