Article paru dans Vous et votre Santé n° 6, novembre 2012

Charlène et son échelle

C’est ici un nouveau type de chronique : il s’agira de montrer comment un rêve, un seul rêve – même s’il semble fantasmagorique – révèle nos somatisations, nos points forts et points faibles, nos humeurs et nos tendances.
Il sera question, en somme, de « thérapie onirique », approche théorique qui, pour l’instant, contrarie ou complète la vulgate psychanalytique. Interrogeons le rêve de Charlène pour comprendre comment il peut la prévenir de (et prévenir) certains maux. Comme s’il contenait une sorte d’auto-prescription curative.

Je voyais une très très grande échelle avec beaucoup de monde en train de monter. Soudain, l’échelle se casse et tous ceux qui étaient en bas de l'échelle sont tombés à l'eau. Des gens sont morts, d'autres sont mal retombés avec des branches dans la jambe et un bébé inerte.

Cette réécriture du songe de l'échelle de Jacob – à la différence près que, dans la Bible, le mouvement est aussi bien descendant qu’ascendant – révèle une personne belle et grande de taille comme d’esprit, idéaliste, soucieuse d'ascension au sens spirituel autant que social avec la conviction que ceux qui sont en bas « trinquent », puisque seuls eux tombent, ainsi que des projets « tombés à l’eau » à la fois dans le cadre affectif et dans le cadre professionnel.

L’échelle figure aussi la colonne vertébrale et les douleurs lombaires de la rêveuse, de même que les tensions psychiques résultant des cassures entre ses aspirations élevées et ses réalisations. [Pensons à la locution verbale : « gravir les échelons » qui sert couramment de métaphore socio-professionnelle.]
Quelles brisures pourraient ainsi être représentées qui engendrent des chutes à la base de l’échelle et non en hauteur comme on pourrait s’y attendre ? Cette « anomalie » du scénario onirique nous met sur la piste des racines, racines familiales avec cette échelle qui ressemble parfois à un arbre – généalogique – par ces branches qui « mettent des bâtons » dans les jambes. Mais paradoxalement, ici on peut tomber de haut et ne pas en mourir, perdre ses illusions et s’en remettre.

Le couple parental s’est cassé un an plus tôt entraînant une chute inattendue de sa relation avec sa mère. Les gens morts reflètent les tendances morbides qui en découlent, la fatiguent en raison des dissensions. Charlène, enfant, se destinait à être danseuse étoile. [Notons qu’une « étoile » renvoie métaphoriquement la hauteur (de même que perdre ses illusions revient à « tomber de haut »). Ajoutons que le travail d’une danseuse s’effectue pour une grande part à la barre, et qu’il n’y a pas loin de la barre aux barreaux.] Sa mère l’entoure d’une affection sans faille durant les jeunes années d’apprentissage. Charlène, en accord avec sa mère choisit finalement une autre voie car les élues sont infiniment peu nombreuses.
Depuis quelques mois, elle ne comprend pas sa mère, qui, après avoir obtenu le divorce, est devenue exclusive au point de devenir furieuse quand Charlène revoit son père avec qui la relation était moins intense. Charlène ne s’en remet pas, au point de mettre inconsciemment son couple en difficulté : son devenir propre (le bébé inerte) et la maternité – indispensable au couple d’après elle – laissés en stand-by tant que le problème ne se résout pas. Si son projet « bébé » n’est pas avorté, la pression la fait pleurer, et la rend sinon « inerte » en amour, du moins pas assez « active ».
D’autres brisures au travail avec des collègues qui étaient de grandes amies devenues hostiles, la rendent malheureuse et augurent de retombées négatives.

Tout l’enjeu de la « thérapie onirique » réside dans une mise à plat de l’échelle des valeurs de Charlène, visant à guérir les maux de dos, la dépression latente, la stérilité momentanée. Ainsi se raniment, s’avivent de nouvelles priorités : redresser sa vie, sa relation de couple, restaurer l’échelle généalogique (ce qui la rapprochera de sa mère).
Comme dans les contes, le nouveau mouvement libère la vita felice. Il invite ou incite, malgré les acrobaties auxquelles conduit l’échelle cassée, à « faire danser la vie ». Chorégraphiée, une chute ne fait pas mal.

Soana Kristen, psychanalyste onirocriticienne

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