Article paru dans Vous et Votre Santé n° 12, mai 2013
Le rêve d’Anna : ma belle-mère me viole
Une déesse d’aujourd’hui, je veux dire une femme, rêve. La chance veut que les songes les plus hermétiques surgissent toujours les lendemains de réunions tardives et à un mois d’une conférence sur l’hermaphrodisme, le rêve suivant me paraît bien illustrer mon propos. Il émane d’une jeune femme, mariée, mère de famille, jeune, belle et intelligente. Son rêve :
Ma belle-mère est sur moi. Elle me pénètre et éjacule en moi dès la pénétration. Elle veut m’embrasser sur la bouche, je me détourne, elle va sur la joue. Je comprends que c’est un viol.
Anna commente : « Je me sens rabaissée, dévalorisée. Ce rêve est la manifestation de la domination de ma belle-mère sur moi. À l’évidence, ce rêve montre ma belle-mère phallique, invasive, violente. Il me laisse un sentiment de saleté très désagréable. Cette femme est la matriarche de la famille. Elle est témoin de Jéhovah, très habile à mener les discussions et à tenir toujours la vedette en société. Brillante, oratrice, elle domine son auditoire. Elle démontre un dévouement admirable envers son mari alcoolique, homme remarquable qui a plié sous le joug de sa femme. Néanmoins il n’est pas témoin de Jéhovah.
Mon mari aussi a pu s’extraire de l’obédience. À 13 ans, il a flirté, il a fumé, il a été exclu – au grand dam de sa mère. Fils unique, brillant sous tout rapport, excepté une légère tendance à s’alcooliser comme papa. Nous nous sommes mariés après dix ans de vie commune.
– Le phallus détenu, en rêve et en réalité, par la belle-mère lui confère le pouvoir de domination. Vous le refusez pour ne pas devenir une matrone et tenter par tous les moyens de ressouder le couple. Ce songe expose la difficulté de l’entreprise et combien l’emprise de la belle-mère reste prégnante.
– Pour une jeune femme, il n’est pas aisé de s’affronter à une belle mère surtout aussi redoutable. Je « prends sur moi » et me fais violence en supportant ma belle-mère – incarnation et projection de mes problèmes – sanctionnant chacun de ses passages d’un lumbago ou d’un mal de dos sévère.
– Rien ne vous y oblige ! Vous n’êtes pas soumise, ni à votre belle mère, ni à son mari, ni aux conventions. En Bretagne, au moyen-âge, si une belle-mère s’incrustait, elle était chassée par la belle-fille à coups de balai. Ne vous imposez pas tant de contraintes !
– J’ai tendance à penser que tout le monde est bon et les événements se sont enchaînés de sorte que j’ai suivi ce fil de soumission de mon plein gré.
– Parce que nécessaire et bénéfique à un moment donné – mais maintenant que la situation est autre, il est important de sortir de ce cadre, de ses règles. Car l’enjeu essentiel tient dans votre manière de vous positionner – qui amène ensuite le viol.
– Justement, ce qui m’intrigue le plus, c’est le temps que j’ai mis pour prendre conscience du viol !
– Le mot « sur moi » revient souvent et renvoie au « surmoi » Mais quand le « surmoi » censé incarner « le gendarme » joue le « ça » (les pulsions non maîtrisées) on a tout lieu d’être inquiet alors qu’il est supposé protéger des actes inappropriés ! L’inversion indique la nécessité d’un moi plus sûr et de renverser la tendance à subir l’événement – fusse la belle-mère tyrannique.
– Une anecdote survenue hier est parlante : en déplacement, je m’arrête sur une aire d’autoroute, mets mon clignotant pour me garer dans un espace resté libre, lorsqu’une voiture arrivée en trombe derrière moi, me passe devant brutalement pour se mettre à ma place. L’acte a été délibéré. Or dans la buvette de l’aire d’autoroute, l’homme en question a oublié sa carte bancaire dans le distributeur, où il est passé juste avant moi. J’ai eu la plus mauvaise réaction : au lieu de laisser sa carte où elle était ou d’aller la lui rendre en le chapitrant sur sa manière de (se) conduire, je suis allée à la caisse signaler à la vendeuse qu’il l’avait oubliée. L’homme m’est passé devant une fois de plus, les yeux baissés sans me regarder et sans le moindre merci. Mais je suis une soumise !
Sous le conflit avec la belle-mère, se cacherait-il une autre revendication ? L’homme de l’autoroute lui passe devant et laisse sa carte dans le distributeur… Elle n’en veut pas. Dans le rêve, la belle-mère est « éjaculateur précoce »… Serait-ce une manière déguisée de conter ce qui la tourmente ? Un mari éjaculateur précoce et une Anna en quête d’orgasme simultané qui se plaint à l’analyste – la vendeuse de l’histoire – de ce que l’homme jouit avant et qu’elle n’en veut plus !
Le rêve souligne que la vie impose à travers la tradition, la famille, la coutume, des rapports forcés dont on ne ressort qu’avec le temps, la liberté d’être soi et de s’épanouir dans un couple.
Soana Kristen. Psychanalyste onirocriticienne