Article paru dans Vous et Votre Santé n° 10, mars 2013
La poupée russe et les tubes de couleurs
Evalinka, depuis l’enfance, a la passion des couleurs. Un prénom, un je ne sais quoi de poupée russe. Comme la figurine éponyme, elle joue les matriochkas, prenant sous son « aile gigogne » une lignée de femmes. Adulte, devenue coiffeuse, longtemps employée par une mégère, elle attend longtemps avant de se mettre à son compte. Patronne, elle aide ses employées, quitte à être dans le rouge.
Heureuse, quand les filles sans avenir tirent leur épingle du jeu. Marron, quand sa confiance est mal placée. Les problèmes d’argent et de santé – opérée à 24 ans des ovaires – l’ont escortée toute sa vie. Son mari, artisan, décède d’une maladie professionnelle à 50 ans. Ils s’entendaient à merveille. Le cœur sur la main, cordon bleu et fleur bleue, elle se fait spolier, vend son salon à perte à une amie intrigante. Une fois veuve, elle se dévoue à sa mère, victime de polyarthrite mais bourreau de sa fille qu’elle culpabilise sans vergogne. Evalinka a beau montrer patte blanche et faire travailler sa matière grise, elle prend des coups, se plaint : « Je trimballe la misère » mais ne change rien. Elle héberge sa petite fille – qui a beaucoup de caractère et joue la capricieuse – depuis plusieurs années. La cohabitation devient pesante. Elle assume le rôle de mère affectivement, financièrement. Fille et petite-fille ne semblent pas reconnaissantes. Evalinka a mal au dos, des insomnies récidivantes. Elle broie du noir : « Dès son BTS en poche, elle partira ». En attendant, Evalinka subit la situation et sa carcasse se plaint et lui conte : « Plein le dos, réveille-toi, sois toi-même et suis tes envies ».
Un rêve vient l’éclairer : « Cela se passait au salon de coiffure – même si je suis en retraite depuis plusieurs années, je rêve sans cesse du salon. J’étais choquée car tous les tubes de couleur étaient mélangés. Techniquement, les tubes représentent la transformation, l’artistique. Ils sont utilisés pour un changement, embellir. Ils apportent de la lumière, un rayonnement. Dans ma vie tout est mélangé, je dois mettre de l’ordre ! À force de me démener pour ma mère, je mourrai bien avant elle. Elle doit prendre une aide-ménagère, ma petite-fille partir cette année. Je n’ai plus la force de tout assumer ! ».
Sinon les désordres endocriniens – dus à l’irrespect – et ses maux habituels vont revenir au galop avec en sus une prise de poids. Tout en parlant, Evalinka a un lapsus et au lieu de tubes dit : « Mes buts de couleur ». En fourchant, – comme on dit d’un cheveu – sa langue exprime la vérité sortie du tréfonds du songe. Elle est supposée porter attention à ses buts, de couleur ? Ses buts d’heure qui coule, d’un temps qui s’écoule paisiblement. Les tubes de couleur s’appliquent sur les cheveux, de même que les buts s’appliquent à ses « je-veux ». Evalinka en a vu de toutes les couleurs, mais haute en couleurs, souhaite une (nouvelle) vie à la palette bien colorée – et parce que la vie peut tenir à un cheveu ! – selon de bons mélanges. Laisser la vie couler à son rythme, s’écouler harmonieusement en vue de beaux cheveux, et selon d’harmonieux « je-veux ».
Soana Kristen. Psychanalyste onirocriticienne