I comme Initiation
Le songe de la danseuse du feu
Un jour, ou plutôt une nuit, j’eus un rêve et j’entendis ceci :
Soana, voici l’histoire de ta vie car tu n’en as eu qu’une seule, avant de venir dans ce monde.
Cette histoire est très étrange pour moi qui ne croyais pas en la réincarnation ou du moins ne m’en préoccupais nullement. La connaître m’a encouragée et permis de comprendre des épisodes étranges de celle-ci, son parfum d’aventure, certaines attitudes ou dispositions, l’aisance à évoluer dans n’importe quel milieu, les raisons de mes agressions successives et de mon goût pour l’aide, la danse, la philosophie. Je naquis dans une île. Est-ce pour cela que j’aime l’eau… toujours ?
Une nuit, en songe, j’entendis donc ceci : « Soana, voici l’histoire de ta vie car tu n’en as eu qu’une seule, avant de venir dans ce monde. C’était l’année neuf cent soixante dix. Ce petit village s’appelait Asmara. Les jours s’écoulaient paisibles auprès de mon père et ma mère. Un jour, mon père disparut. Quelques semaines plus tard on le retrouva déchiqueté dans un champ plein d’eau qu’on appelait "les blés arides". Ma mère et ma grand-mère partirent et m’enseignèrent la danse. C’est vrai que j’avais un corps exquis. Je dansais comme un papillon. Vers l’âge d’une douzaine d’années, je m’échappai et continuai à virevolter. Au bord de la mer se trouvait une ville dénommée Karta et j’y vécus un peu. Ce don pour la chorégraphie des "huit" en volupté dans l’espace, attirait sur moi les regards des hommes comme des femmes. Tous m’admiraient. Et la danse avait la magie de réconcilier les êtres. Certes, j’alléchais les hommes par mon corps et mon numéro. J’en profitais et les réunissais à leur chérie. De bourg en bourg, de plaine en montagne, de mont en vallée, de pauvres en princes je voyageais. Un jour, une femme s’approcha de moi et déclara : “Ma fille, tu ne m’as pas été présentée, mais je t’ai observée. Lorsque tu te meus, tous les yeux te regardent avides. Je te suivrai parce que tu dois être protégée.”
Et ainsi, toutes les deux, nous continuâmes, nous séparâmes les guerriers et les chenapans par la danse, par le génie de la danse – sans doute est-ce la raison pour laquelle l’amitié féminine, une forme de gémellité m’est si précieuse. On me quémandait, je déclinais, mais toujours avec le sourire. […] »
Une Pythie d’aujourd’hui
La vie, cette grande initiatrice, m’a offert des face-à-face avec des hommes remarquables. Parmi eux, une femme à la grandeur inusitée dans son pays : Bali. Je l’appelle la Pythie, elle devint mon amie. Doit-elle ses vertus exceptionnelles à son destin tragique ? On l’appelle Jero Dasar, terme générique désignant à la fois une soignante, une aidante et une devineresse. Là, dans une petite cabane bordant les rizières de la banlieue de Denpasar, elle consulte à toute heure du jour, parfois même de la nuit selon un rituel immuable. Tout consultant apporte ses hommages aux Dieux balinais, merveilles d’assemblages fleuries et odoriférantes, pâtisseries locales à base de riz savamment décorées par un doigté féminin traditionnellement employé à cet effet. Mais l’humain reste humain, qu’il soit balinais, new-yorkais ou parisien et l’oracle est là pour calmer les angoisses existentielles. Une fois déposée son obole, souvent un bol de riz pour les paysans, de la monnaie pour les employés, un poulet pour les plus riches, en sus de menues libéralités aux Dieux, le consultant prend place seul ou accompagné devant l’autel où officie la prêtresse. […]