Y comme Isis et Osiris
La légende d’Isis
Derrière votre sourire, Anaïs je devine des mystères dont je me régale de voir soulever quelques voiles. Isis m’a constamment fascinée depuis ma tendre enfance avec son cortège de secrets. En mon for intérieur, l’Égypte et tout ce qui s’y rattache resplendissent d’un âge d’élection dont le brillant des civilisations ultérieures pâlit en regard des munificences léguées et encore ignorées. Ma mère, après qu’elle l’a lue dans Plutarque, m’a conté cent fois l’histoire d’Isis et d’Osiris. La voici telle qu’elle est restée dans mon souvenir :
Il y eut une royauté dans le ciel où la sagesse était telle que chacun vivait en accord, les paroles échangées comme autant de pétales de roses et de grains de sel, le ciel d’un azur que rien ne devait ternir. La vie s’écoulait autour de jardins fertiles où les animaux dénués de toute agressivité batifolaient, les hommes et les femmes vaquaient avec tranquillité à leurs occupations. La déesse de ce monde céleste se dit qu’il serait bon de faire connaître au dieu d’ici les grâces qu’elle pouvait lui offrir. Sa magie et sa science confondues lui permirent de venir sur terre. Mais comment repérer le dieu de cette planète parmi tous ces hommes plus beaux, plus fringants, plus virils les uns que les autres ? La chance voulut que la déesse du ciel atterrît dans un lac aux eaux profondes, aussi bleutées que limpides, un lac où les plus valeureux des princes se réunissaient pour choisir leur future épouse.
Déesse à l’éclat de lys, mince et souple, d’une fraîcheur que lui enviait la rosée du matin, la peau si chatoyante qu’on eût cru une soierie fruitée au parfum poudré et animalisé, elle se différenciait d’entre toutes les femmes. Ses yeux fendus en amande rappelaient le regard fardé de khôl des princesses d’Égypte les plus félines. Leur coloration changeante reflétait l’humeur comme un miroir troublant. Sa douceur suscitait le bien instantanément chez son alter ego, alors soumis au sentiment d’être nu sous ses yeux. Déesse myrionyme pour les dix mille vertus qui la paraient, elle ne sut où porter ses regards. Comment choisir ? Une sensation inconnue l’assaillit. Un tison ardent parcourait sa silhouette élancée, se posait sur sa cambrure crazy, s’amusant à créer un émoi charnel insoupçonné jusqu’alors. Il se promenait sur sa peau velours et vanille pour la saisir d’un toucher feutré, provoquant en elle des pensées dont elle s’avouait l’insidieuse caresse. Elle ne se retourna pas. Il lui sembla qu’un être était comme téléguidé vers elle. Elle ne le vit pas encore, elle sentit juste son regard brûlant, son magnétisme puissant, sa pensée obsédante, sa volonté impérieuse, une aura qui le distinguait de tous ceux qui étaient présents. Elle ne fit même pas attention à sa beauté, à sa force, à son élégance. Il s’imposait. Lorsque son regard intercepta celui de l’homme au regard de loup, le dieu de la terre s’était déjà accouplé, l’enserrant sur ses genoux et lui offrant la multiplicité d’unions dont elle rêvait. De cette fusion fabuleuse, cinq enfants issirent, cinq jours de suite. Osiris naquit le premier jour ; Seth, le troisième jour ; Isis, le quatrième. Les enfants rivalisaient de beauté. Encore dans le giron de leur mère, Isis et Osiris s’énamourèrent en se jurant de rester liés à jamais. Osiris, dès l’aube de son règne, arracha les Égyptiens à leur sort de privation et de bêtes sauvages. Il leur fit connaître les fruits de la terre et ceux du ciel, leur apporta les lois, la sagesse et le respect des dieux. Il arpenta la planète pour la civiliser. Très rarement il eut besoin de faire usage de sa force phénoménale, car il possédait les secrets de sa mère et de son père, lui permettant de foudroyer instantanément n’importe quel ennemi. Ce fut le plus souvent par la raison, par la persuasion, par le verbe, par le charme conjugué de sa sagesse, de l’intelligence et de tous les arts qu’il attira vers lui le plus grand nombre d’hommes. Son frère, Seth, durant son absence, n’osa innover, car Isis exerçait une surveillance exemplaire et vigoureusement maintenait toutes les choses en bon ordre en l’absence de son bien-aimé. Mais, dès le retour d’Osiris, Seth tendit des embûches. Il organisa en son honneur un superbe banquet auquel tout le royaume fut convié. Il avait pris soin, au préalable, de prendre les mesures exactes du corps d’Osiris et fit construire, d’après elles, un coffre. Oh, c’était le plus beau qui fût, dans les bois les plus précieux, décoré des pierreries les plus rares, remarquable ouvrage sculpté. Il ordonna qu’on l’apportât au milieu du festin. À la vue de ce coffre, tous les invités s’exclamèrent ravis et étonnés. Seth promit en plaisantant qu’il l’offrirait à celui des convives qui serait à sa taille. Chacun s’y essaya. Lorsque ce fut le tour d’Osiris, tous les hôtes s’élancèrent pour fermer le couvercle. Les uns l’assujettirent extérieurement avec des clous, les autres le scellèrent avec du plomb fondu. Lorsque l’opération fut terminée, le coffre fut porté sur le fleuve et on le fit descendre jusqu’à la mer. Informée de cette tragédie, Isis se coupa sur le champ une mèche de ses cheveux bouclés, puis elle erra de tous côtés, en proie à la plus grande angoisse. Elle s’enquit auprès de chacun de son Osiris. […]
La Légende d’Isis est-elle un conte merveilleux ?
– La légende d’Isis est-elle un conte merveilleux, une révélation portée à la face de l’humanité ou un conte pour endormir et concourir à l’établissement d’une suprématie, Anaïs ?
– Les philosophes et les critiques auront loisir d’en extraire l’essence. S’il est vrai que la légende que nous connaissons retrace une civilisation très brillante, les textes pourraient remémorer un continent disparu, où cette somme, malgré cet engloutissement, a réussi à perdurer en ramassant bribe par bribe, le savoir qui avait animé, pendant des lustres et des lustres, toute une population dont aujourd’hui on a peine à se souvenir. Et tout, malgré tout, reste gravé dans notre mémoire. C’est cette légende sacrée et cachée, retrouvée par le plus grand des hasards dans des textes anciens, qui a permis, à quelques hommes et femmes de vivre et de grandir mais aussi à nombre de religions de s’imposer et d’énoncer des règles inquisitoriales afin d’étoffer leur puissance. Nous vivons, sous des formes, sous des noms tout à fait différents, sur ces mêmes éléments. Isis et Osiris nous enfantent, nous allaitent à une culture antédiluvienne dont le monde latin a été un maillon, un relais. Isis et le rêve sont des Babel intemporelles, parfois galvaudées, nous reliant à nos sources familiales, sociales comme à l’âge d’or de l’humanité. […]