I comme Interprétation
L’interprétation du hiéroglyphe par Roxane devant le roi, la reine et le conseil
Le roi et la reine, désireux de comprendre leurs rêves, sont, par leur fonction, prudents et enclins à douter. Il leur faut questionner Roxane, s’assurer de son talent d’herméneute. À cette fin ils exigent de leurs conseillers les plus retors une épreuve dont aucun interprète n’est sorti vainqueur. Il s’agit de traduire les songes les plus complexes du couple royal ou d’éminents conseillers, sans aucun indice pour Roxane. Elle se lève, la démarche ondoyante, sa robe traînant sur le sol derrière elle. Les anneaux d’or de ses chevilles vibrent en un cliquetis tintinnabulant. Ses cheveux voltigent en boucles dansantes. Une sublime fleur blanche d’un gardénia odoriférant, cueillie le matin même et placée dans sa chevelure, lui donne un aspect printanier et exubérant que dément sa mise réservée. On lui fait porter un récipient en argent plein d’eau fraîche, une écuelle contenant du lait, des dattes et quelques fruits.
La souveraine confie à Roxane :
« Afin que tu sois en pleine possession de tes moyens, nous allons tout d’abord te bichonner. Roxane se voit alors entourée des femmes du palais qui la traitent comme si elle était une reine. Elle est étrillée, massée, lavée, parfumée et chacune des femmes conquise par sa grâce, captivée par sa vivacité et ses bonnes manières. Une fois prête, on l’amène près de la reine entourée du conseil qui prend alors la parole :
– La compétence que nous te prêtons est à l’aune de ta hardiesse, mais il va te falloir accomplir un prodige pour franchir cet écueil, car le rêve que je te propose est en fait un dessin. Et dans les années passées, jamais personne n’a été capable de m’en expliquer un seul. Ce rêve hiéroglyphe émane d’une personne qui m’est très chère sans que je puisse te divulguer son identité. »
Roxane sent une tension fiévreuse l’envahir, une sorte de vertige l’aspirer dans un frémissement. La conviction que l’instant est venu de se jeter à l’eau dans un mouvement contradictoire de répulsion et d’exaltation la terrorise et lui procure une forme d’ébriété. Le sort est jeté. La reine décline le rêve avec une mine de sphinx :
Un troupeau de trois moutons dans une ellipse et un quatrième en train de sortir et de rentrer dans une des trois cases où il existe une porte.
Une porte servant d’intermédiaire.
Un cercle avec un Y.
4 animaux - 1 cercle - 3 cases - 1 porte
Roxane se met en méditation :
– L’hiéroglyphe émane d’une femme d’origine paysanne.
Les moutons dans une ellipse représentent tout ce qu’elle s’est échinée à mettre entre parenthèses : les déboires d’une vie terre à terre pour une petite fille frêle et subtile, blanche de carnation et de chevelure. "Bergère rentre tes blancs moutons". On voulait des bras et sans doute a-t-elle subi des violences. Vaille que vaille elle a tenté de sortir de son milieu moutonnier, tentant une ascension sociale par le mariage. Elle semble terrorisée par le monde extérieur, a une sainte horreur des horaires et des hommes. Son mari est le seul qui trouve grâce à ses yeux mais elle ne peut se sentir libre avec lui, engoncée dans une enveloppe corporelle vécue comme une camisole. […]
L’art de l’interprétation
L’interprétation d’un rêve est l’art d’une résonance à la source, comme le mouvement de la vague reflète à un moment donné le fond marin qui le sous-tend. Et ce reflet révèle la description d’une facette, aussi brève que le temps d’une respiration. Est-ce bon, est-ce juste, je ne le sais pas. Chaque consultant ne conte qu’une parcelle de vérité. L’interprétation est une écoute et un apprentissage d’écoute, une manière de faire vibrer. Le rêve, le songe, c’est être dans l’écoute de… et c’est donc une méthode discutable, contestable. C’est un support, l’art de l’augure. Tirer les augures ou les auspices, lire les tripes, les foies des oiseaux ou des animaux, c’est pour celui qui le réclamait, être fixé sur son avenir… et le sujet par sa manière d’être, se déterminait. S’il était prince ou roi et son sort mauvais, l’oracle avait de fortes chances de perdre son pari. Les adieux par anticipation étaient de mise. Le sort des oracles s’accordait au destin, un métier à risque selon les êtres, selon l’humeur. Il faut bien avouer que dans cet aléa unidimensionnel, les prêtresses oraculaires avaient cinquante pour cent de chance de réussite. Exprimer leur augure en termes permettant la compréhension des deux faces, était leur seule chance de pactiser avec la conjecture. Parfois, au cours d’une écoute, d’un entretien, plane l’impression d’être dans le vide. Pourtant, le rêve a été reçu mais, fugitif, il nous a échappé. Il convient de le traquer, le pister pas à pas et s’évertuer à en produire une traduction imagée pour rattraper la sente. Chacun s’ingénie à démontrer son excellence dans cet exercice.