I comme Intermédiaire

 

La petite voix de Soana

Cette nuit, ma petite voix a ressurgi, intermittente à périodicité variable. Elle est venue me dire en substance :
Ce n’est pas parce que tu écris une encyclopédie et que grâce à moi, d’ailleurs, t’est venue l’idée du songe, que tu dois t’exempter d’une trame romanesque plus intrigante pour le lecteur. Il faut donc reprendre depuis le début sans bouleverser totalement le texte, simplement le modifier, le métamorphoser.
Cette petite voix m’interroge. L’idée d’une intrigue ne m’avait pas effleurée un seul instant. L’agencement des plans diurne et nocturne n’était déjà pas simple. La petite voix n’est apparemment pas un élément qui ressortit à mon invention propre. D’ailleurs je ne pourrais pas dire si c’est celle d’un homme ou d’une femme. Je ne l’entends pas par l’oreille. Elle naît, disparaît, revient. C’est une expérience intime évanescente. En tout cas, merci à toi petite fée, et peu importe d’où tu viens, qui que tu sois ! Et tout en posant du vernis à ongles orange flamboyant comme il se doit, les idées foisonnent et je me prends à m’amuser de ce dialogue entre soi et « là-haut ». Mais, est-ce vraiment là-haut ? Pourquoi cet autre monde serait-il plus là-haut qu’en dessous ? Ce serait peut-être, au contraire, le centre de nous-même. La petite voix dirait :
Voilà, je lui inspire des idées et au lieu de travailler, elle prend ses aises pour des choses futiles, distrayantes. Quand va-t-elle se mettre au travail ?  Par la pensée, je lui répondrais :  Petite voix, peut-être les idées naissent-elles dans ces moments où la tête n’est pas chargée d’une tâche précise, consentant ainsi à laisser libre cours à leur vol.

La décapitation du roi

Le roi, intéressé par les dires de Roxane, et voyant en la petite fille une résurgence des traditions – car autrefois, les danseuses donnaient des oracles –, continue de la  questionner.
« Parfois, un sage parle par la voix d’un enfant. Si tes paroles nous semblent véridiques, nous te soumettrons les rêves qui nous semblent hermétiques et décisifs pour la bonne conduite du royaume. Le songe de cette nuit m’a inquiété mais avant de te le proposer, découvre pour nous l’univers du rêve. »
– Sire, avant d’accéder à votre requête, accordez-moi une faveur. Je serai d’autant plus juste que je ne me sentirai plus tout à fait présente. Il me faut danser et quand cette danse deviendra transe, je serai disposée à répondre.
– Danse Roxane, ton vertige sera le nôtre, dit le roi. »
[…]
« Sire, commence Roxane, si le rêve était un animal, il serait papillon, symbole de l’âme à la fois dans les contrées orientales, au Japon, en Birmanie et, en Occident où on le retrouve parfois sur certaines tombes. Psyché est représentée avec des ailes de papillon. C’est la force du symbole de transcender les règnes, vivant, léger. Le rêve a une fonction primordiale – il peut soigner, annoncer, désigner. […]
Les grands musiciens ont puisé leur inspiration à la source de leurs rêves. Haendel entendit ainsi le chœur final de son oratorio et Mozart transcrivit de nombreuses œuvres rêvées dès l’éveil. Goethe avoue qu’il a écrit son Wilhelm Meister dans un état voisin du somnambulisme, Stevenson puise à la source onirique ses intrigues les plus fantastiques de L’île au trésor à Mr Jekyll and Mr Hyde. Un rêve étrange livra au fils de Dante, après la mort du poète, la localisation du dernier chant perdu de la Divine Comédie. Le chimiste Auguste Kekulé Von Stradonits a raconté, lors du jubilé commémorant la théorie du benzol, les rêves qui l’aidèrent dans ses travaux. Ce fut aussi en rêve que Niels Bohr découvrit le modèle de l’atome tant recherché. Lorsque vous rêvez, vous croyez vivre d’une façon plus intense que le réel. Pourtant ce n’est qu’un rêve, une image, un pictogramme, un hiéroglyphe, parfois un son, une odeur, une phrase. Il varie selon l’appartenance à un pays, une religion, un clan. Ses contenus vous donnent matière à vous enthousiasmer ou à libérer un mélodrame, mais, vous ne saisissez pas sa teneur et vous restez indécis. Un occidental ne peut avoir un mode de pensée identique à un habitant de l’Asie ou à d’autres terres lointaines même s’ils ont des archétypes communs. Un orfèvre, un financier, un aristocrate ou un paysan auront des points de vue distincts. Les rêves d’un marin s’ils sont identiques à un homme de la terre auront une interprétation toute autre. »
« Petite Roxane, l’interrompit le roi, je vais m’efforcer de mieux mémoriser mes rêves. Nous allons aussi veiller à ce que ceux des sages ou de certains initiés soient explorés avec grande attention. Mais tu  attises ma curiosité. Cette nuit, j’ai rêvé que j’allais être décapité. Ai-je à craindre d’un de mes sujets ou d’un de mes conseillers ? Parle devant l’assemblée réunie, petite. […] »

La télépathie

Anaïs, laissez-moi vous exposer de belles histoires de télépathie avant d’ébaucher la théorie.
Voici quelques années, un ami passé maître dans l’art d’organiser des festivals internationaux de musique avait sollicité, entre autres vedettes, Alexis Weissenberg. C’était à l’époque un des grands pianistes mondiaux très connus et interprète favori d’Herbert Von Karajan dont il était un des meilleurs amis. Bien qu’invitée à tous les spectacles, je n’avais jamais assisté à aucun jusque-là. Or, huit jours avant la date prévue, je rêve :
Alexis Weissenberg venait passer la journée chez moi, dans un manoir immense envahi par beaucoup d’invités dont une sage-femme qui le salue à son arrivée. Peu après, je lui propose un gâteau au chocolat maison ou une pâtisserie de professionnel. Il répond que cela lui est égal mais que son gâteau favori est le Appfel-Samer. Simultanément, je traduis ce terme par Forêt Noire – mais tout germaniste (et ma souvenance) vous confirmera la nullité de la traduction.
Le soir, il me souhaite bonne nuit, m’embrasse et me remercie de l’accueil que je lui réserve. Le lendemain, une réception en son honneur fédère, dans une sorte de garden-party ensoleillée, des personnalités du show-biz, de la musique, des lettres, du cinéma. Tout ce monde est réuni autour d’une table rectangulaire gigantesque dressée pour l’occasion. Un homme offre alors un présent à Alexis Weissenberg.  À mon tour, je m’approche et lui explique que le plus beau cadeau que je puisse lui faire serait de décrypter les lettres de son nom. […]

La semaine précédant cette soirée de gala, je reste dans l’expectative, résolue à contacter l’artiste afin de juger de la véracité de ce rêve tout en doutant de son caractère télépathique. Je n’ai nulle idée sur la façon d’engager un dialogue sur un phénomène aussi inaccoutumé, avec un fond de crainte que ce rêve ne soit que pure élucubration. La vie est parfois une voltige sans filets dans laquelle il faut se lancer au risque du ridicule. L’analogie existe entre l’interprétation onirique et la danse.

Mentions légales | Autres sites |  L'Encyclopédie des rêves, l'onirocritique et la danse vues par Soana Kristen |  Site web : renke 2012