Comme Clés à Anaïs

 

La rencontre d’Anaïs Moula Derkerwen et de Soana

« Bonjour, je ne vous dérange pas ? Ma démarche, pour inattendue qu’elle semble devrait susciter quelque intérêt chez la professionnelle que vous êtes. Le pressentiment d’une issue dramatique à la situation rencontrée chez un de mes visiteurs – je suis religieuse et à ce titre écoutante – me préoccupe. J’aimerais m’en entretenir avec vous et je souhaite que cette affaire reste strictement confidentielle.
– Vous avez ma parole et je ne déroge en rien à ce principe du secret quel que soit le motif qui pousse ou a poussé quelqu’un à contrevenir éventuellement aux règles de la société. Je ne suis ni juge ni procureur mais dans une démarche d’aide.
– Vos propos trouvent un écho en moi. Bien que je sois religieuse et je ne l’ai pas toujours été, je subordonne la règle à l’esprit. Pouvons-nous convenir d’un rendez-vous informel pour faire plus ample connaissance ? Je vous propose le jardin du grand séminaire pour nous retrouver. Mes recherches m’y conduisent régulièrement et nous pourrons nous y promener si la météo le permet avant de nous calfeutrer dans une salle de travail. Vous demanderez Anaïs Moula Derkerwen à l’accueil. »

« Chère Soana, je vous ai donné rendez-vous ici car notre vie s'y inscrit. Si ce jardin est riche, parfumé des essences les plus discrètes, les plus secrètes, les plus rares, il va faire éclore cet écrin précieux qui scintille en nous. Cette quête du Graal, nombre l’entreprennent sans jamais le trouver. Combien de passants attentifs y neutralisent les désagréments en se promenant ? En guettant leur propre senteur, leur propre bruissement, ils s’écoutent. Combien d'hommes sont partis cueillir les pommes d’or dans le jardin des Hespérides ? Combien se sont égarés sur des chaussées glissantes ou dévoyées ?

– Les parfums m’ont toujours attirée, ils me lient à cet univers que vous semblez bien connaître.
– Regardez-moi tous ces grands parcs édifiés selon des mesures géométriques. Ils représentent une rigidité. Combien de gens apprécient les plantations à la française. Ma foi, c'est très joli, sans discordance ni surprise, mais c'est lassant, c'est fatigant !
– Et les jardins anglais ?
– Plus romantiques, plus agréables, mais on finit par s'y perdre comme dans la brume londonienne. Notre jardin nous ressemble. C'est notre miroir qu'on expose sans le voir.
– On n'écoute jamais l'écho de son ego.
– La raison raisonnante, pour moi, déraisonne !  À moins qu'on ne suive cette intuition du cœur qui permette de faire chanter le cri de l'ego. Au fond de nous existe ce jardin, aussi minuscule, aussi invisible, aussi imprévisible soit-il, aussi microscopique qu'on puisse l'imaginer. Chacun doit le créer et trouver sa jouissance. C'est dans ce jardin, évoqué par Ronsard, que la rose s'éclôt et s'épanouit dans l'instant du matin. »

Nous nous isolons autour d’une table. Pour ce conciliabule, nous prenons un thé au jasmin, puis un peu plus tard un café sucré au miel. Anaïs évoque l’énigme des lettres anonymes. Un nouveau courrier vient de lui parvenir où monsieur N expose le partage du monde.

Thé au jasmin au jardin

« Anaïs, si vous me permettez de vous appeler par votre prénom, savez-vous que depuis mon adolescence j’ai la passion des noms, des prénoms, des lettres de façon générale. Cette orientation d’esprit me pousse à lire des langages très divers, sans les comprendre d’ailleurs, pour tenter de percevoir dans les signes l’emblème des signifiants, décrypter les hiéroglyphes en somme. De là à l’interprétation des signatures et des rêves, il n’y a qu’un pas vite franchi. Vous me parlez d’une personne qui vous demande de l’aide sans vouloir vous rencontrer. Cette personne envoie des lettres anonymes. Ce sont déjà des éléments à prendre en compte. Nous pouvons nous aventurer sur des champs encore inexplorés : la transmission de pensée. Parfois il m’est arrivé de tenter d’identifier une personne à travers son écriture. Plus elle est maquillée, plus elle est parlante selon moi. Deux illustres prédécesseurs m’ont ouvert le chemin : la psychanalyste Ania Teillard Mendelssohn et le limier Raphaël Schermann, engagé par les assurances pour démasquer les malfaiteurs, les escrocs.
– Pouvez-vous procéder à cette épreuve sur ma propre signature au pied levé ?
– Certes, je peux m’y risquer, bien qu’il soit préférable de ne rien connaître du signataire. En l’occurrence, il suffit de laisser parler son intuition. Si d’aventure mutisme et laconisme sont là, il me faut remettre l’ouvrage sur l’enclume jusqu’à ce qu’il prenne forme. Votre signature – mais vous me direz " vous avez beau jeu d’analyser ma signature alors que vous pouvez me voir à l’œil nu " – est celle d’une femme de taille moyenne assez ronde, très fière de ses attributs féminins. Pourtant, vous les cachez. Votre visage est arrondi, vos traits bien dessinés empreints de bonté, vos yeux sont perçants et grands ouverts. Vous êtes digne, un port de tête très droit. Une chevelure souple et mi-longue, des mèches qui s’échappent, rebelles. Vous aimez les porter attachés, en tresse parfois. Vous avez sans doute subi un accident. Vous souffrez des cervicales, des dorsales, parfois de mal de tête. Vous fatiguez des yeux et portez des lunettes. Vous êtes vive et subtile. Vous aimez rire et bien manger, avec une tendance à prendre du poids et des soucis circulatoires. Une épée apparaît. Pratiquez-vous un art martial ? Vous êtes bretteuse, jouteuse, joueuse. Votre signature est très belle avec une grande ligne et votre nom présente comme une bulle de poisson. Vous cherchez l’air, vous cherchez l’aspiration. La signature s’est amenuisée par l’usure. Vous avez la sagesse de l’expérimentation mais vous gardez l’empreinte d’un choc terrible. Des signes d’arrêt, au nombre de trois, sont marquants. Des deuils peut-être ? Vous restez très affligée sans perdre votre sourire ni votre foi de vivre. Vous avez une haute idée de la tradition à perpétuer, un verbe très imagé. Passionnée de lecture et d’étude, vous êtes érudite et férue de culture égyptienne, de langues très anciennes. Vous aimez les couleurs vives, les épinards et Saint Simon. Vous présentez une rapidité de geste et d’exécution, une diction lente et distincte. Je vous vois vivre dans un très grand bâtiment aux fenêtres ouvertes et d’innombrables marches que vous montez et descendez sans cesse. L’amour du chant et de la danse vous délasse. Très secrète. La remise en question et la recherche sont votre lot quotidien. Vous donnez l’image d’un classicisme, d’un méthodisme. Vous êtes très enseignante, très discrète, savez faire parler. Quand vous vous mettez à jacasser, vous êtes très relationnelle après avoir étudié. Une grande endurance. Une grande vitalité. Très jeune d’esprit. Vous ne laissez personne indifférent. Vous avez et vous êtes une personnalité charismatique.
– Votre analyse, Soana, ressemble à un acte de voyance sous son aspect noble. Puisque la signature traduit l’état de l’être ici et à cet instant, voici mon bilan. […] »

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